"La vie d'un homme inconnu" d'Andreï Makine
Superbe!
"Tous les jours, regarde le ciel en pensant à moi, je penserai à toi."
Un auteur incontournable que j'ai découvert avec "Le testament français" et que je n'ai plus quitté. Il me faudrait les reprendre pour en parler ici...
Editions du Seuil, 2009, 292 pages
Choutov est un écrivain russe d'une cinquantaine d'années qui a "beaucoup lu et étudié, a connu la misère et des succès fugace, a même fait la guerre et approché la mort". Et puis, il y a eu Léa, la jeune provinciale rencontrée à la Gare de l'Est, qui rêvait d'écrire et qui idolâtra Tchékhov. Elle n'avait nulle part où aller, elle s'installa chez lui, dans son "colombier" parisien et ils vécurent deux ans et demi ensemble, à lire les auteurs russes.
"Un exilé n'a , pour patrie, que la littérature de sa patrie"
Aujourd'hui, il attend Léa qui vient chercher ses derniers cartons car "sa Léa" le quitte...
Pour se consoler, il boit whisky sur whisky en ressassant le début de leur idylle et leur fin, leurs complicités littéraires qui fut aussi la cause de leurs discordes. Aux yeux de la jeune femme qui prenait progressivement ses marques dans la capitale, il devint un marginal, un "clown", un "bouffon"...c'est ce que voulait dire son nom "Chout"! lui lachâ-t--elle d'une voix ferme et dédaigneuse.
"Chout veut dire un clown triste! Retiens ça! et ce clown triste t'aimait" hurla-t-il.....Le bout de la phrase s'effaça, assourdi, dans une toux."Comme le chuchotement du jeune amoureux chez Tchekhov"
Une fois seul, Choutov décide de retourner à St Petersbourg où il a connu trente ans auparavant une douce et romantique jeune fille du nom de IANA. L'Urss de sa jeunesse n'est plus...
Rien n'a changé depuis trente ans. Et tout a changé. Le sens de la métamorphose lui paraît évident. La Russie tente de gommer les décennies qui l'avaient séparée de son destin: plusieurs livres chez Vlad parlaient de cette destinée russe interrompue par la funeste parenthèse soviétique. Oui, un beau fleuve pollué par la boue de massacres, d'esclavage intellectuel, de peurs.
C'est en Russie qu'il retrouve son amour et Iana est devenue une femme qui court constament, qui parle argent, acquisitions, qui n'a plus le temps de s'occuper de lui...
"Vous savez, je n'en veux pas à votre amie Iana, dit le vieillard...Ni aux autres, non plus. Ce qu'ils vivent n'est pas du tout enviable. Vous imaginez, il leur faut posséder tout cela!"
Sa main fait un large geste et Choutov voit clairement que ce "tout cela" c'est l'appartement de Iana mais aussi ce long écran de téléviseur et ce reportage sur l'élite russe installée à Londre, leurs hôtels particuliers et leurs résudences de villégiature, et ce cocktail où ils se retrouvent entre eux, et toute cette nouvelle façon d'exister que Choutov ne parvient pas à comprendre.
"Nous avons eu finalement une vie si légère! dit le vieil homme. Nous ne possédions rien et pourtant nous savions être heureux. Entre deux sifflements de balles, en quelque sorte...Non, mais regardez ces pauvres gens, ils souffrent!" On oit une réception dans un palace londonien, les rictus crispés des femmes, les faces luisantes des hommes. "Nous faisions la même tête quand, au conservatoire, on nous obligeait à écouter une cantate à la gloire de Staline..."
A travers cet amour perdu, Choutov découvre un nouveau regard sur la vie de ses compatriotes, un nouveau pays auquel il n'appartient pas...
Choutov sent soudain avec violence qu'il n'appartiendra jamais à ce monde russe qui renait maintenant dans sa patrie. Il restera jusqu'à la fin dans un passé de plus en plus méprisé et de plus en plus inconnu ailleurs. Une époque qu'il sait indéfendable et où pourtant vivaient quelques êtres qu'il faudra coûte que coûte sauver de l'oubli."
Sa rencontre avec le vieil homme inconnu nous ramène sur les traces de sa patrie, celle des soviétiques dans laquelle il a grandi avant de venir s'installer en France.
Trois ans après la mort de Staline, on expliquait que tous ceux qu'il avait massacrés avaient été anéantis par erreur, par une simple entorse à la doctrine.
L'histoire contée par Volski - cet homme inconnu- est saisissante, révoltante et forte. C'est l'histoire d'une vie sacrifiée, constamment portée par l'amour, l'espoir et l'abnégation de soi, seuls moteur de résistance et de survivance.
Ce bonheur rendait dérisoire le désir des hommes de dominer, de tuer, de posséder....Leur joie était faite de choses qu'on ne possède pas, de ce que les autres avaient abandonné ou dédaigné. Mais surtout, ce couchant, cette odeur d'écorce tiède, ces nuages au dessus des jeune arbres du cimetière, cela appartenait à tout le monde!
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