"Une année dans la vie de Tolstoï" de Jay Parini

Publié le par Du soleil sur la page

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Editions des deux terres, 460 pages, 2009

Ce livre fut écrit en 1990 par Jay Parini, un professeur d'université du Vermont. Ce n'est que trés récemment que je croisai cette édition en librairie, pensant alors à une sortie littéraire. Curieuse de littérature russe et plus encore désireuse de découvrir l'un de ses grands écrivains du XIXème siècle , j'ai franchi le pas, acheté l'ouvrage et depuis, je baigne dans une forme de bonheur.

"Une année dans la vie de Tolstoï "relate sa dernière année,1910,   la plus pénible de sa vie puisqu'elle se termine par sa fuite et sa mort.

Depuis le début des années 1880, et plus particulièrement l'année 1881, Tolstoï vit un enfer. Né comte Tolstoï, vivant  dans le luxe , abusant des femmes qu'il considère comme ses possessions, il se réveille soudain avec une nouvelle philosophie de la vie basée sur  la non violence, l'abstinence, le végétarisme et le désir de vivre comme un moujik en se débarassant de son titre et en partageant ses terres...trés louable tout cela...seulement quelquechose cloche comme ne manquent de lui rappeller aussi bien sa femme Sophia AndreÏevna que son fidèle serviteur Vladimir Tchertkov, pour des raisons différentes mais pas tant que ça: Les écrits sont une chose mais sa vie de privilégié une autre. Ces deux-là ne s'entendent pas du tout et tout au long du livre, on assiste à la haine qu'ils se livrent l'un l'autre.

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Pris en étau, Tolstoï est de plus en plus déchiré. Les derniers mois du couple sont trés tristes.


Sophia qui a beaucoup aidé son mari pendant des années, en recopiant à maintes reprises ses écrits  les plus célèbres, à commencer par "Guerre et paix", puis "Anna Karénine", donnant volontiers son avis , construisant avec lui cette oeuvre collosale qu'il dénigrera plus tard, prêtant même son image sans jamais rechigner alors qu'elle lui donnait dans le même temps treize enfants qu'elle va élever en grande partie seule et pour qui elle se bat bec et ongle en cette année 1910, elle se sent désormais écartée.
Pourtant, trés tôt, alors qu'elle n'a que 18 ans, Sophia s'occupe du domaine, des factures, de l'éducation des enfants, de l'école que le couple a voulu fonder pour les enfants de moujiks,  de l'oeuvre de Tolstoï, elle reçoit sans cesse,  jardine, coud, veille au bien être de chacun et la nuit venue, recopie encore les corrections sans cesse renouvelées de son mari. Sophia s'oublie parce qu'elle aime son Tolstoï d'un amour-passion parfois excessif.
Elle va perdre sept de leurs treize enfants et ces deuils successifs vont beaucoup la marquer et il en sera de même pour Léon Nikolaïevitch. Ce seront les seuls moments où ils trouveront encore le moyen de se dire qu'ils s'aiment mais leurs pensées divergent trop et seront à l'origine de la fin tragique à Astapovo.

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En 1910, Sophia AndreÏevna ne sert donc plus à rien, du moins le ressent-elle. Elle devient celle qui gène, qui a des accès de folie, qui se montre jalouse. Elle déprime comme lui même a déprimé quelques décénies auparavant...


Au cours de cette dernière année, Sophia se bat pour conserver la propriété des premières oeuvres de Tolstoï  dont elle s'occupe avec vigueur-  son mari lui a donné sur son testament- propriété de leur bonheur, de leur collaboration d'avant 1881, d'avant les nouvelles idées,  d'avant Tchertkov qui pousse Tolstoï à rediger un nouveau testament dans son dos.
Elle se bat pour sa descendance car elle se sait en danger. Tchertkov, le disciple et l'ami fidèle de l'auteur,  qu'elle ira jusqu'à accuser d'homosexualité, manipule par en dessous, bientôt aidé de sa propre fille Alexandra, dite Sacha, qui elle même entretient une relation trouble avec une jeune copiste de son père, Varvara.
Etait-elle sous l'emprise de cet homme pour agir ainsi contre sa mère au point de lui refuser l'accès à la chambre où son père est sur le point de mourir? Tous deux n'ont-ils pas abusé du grand âge de l'écrivain qui, pris par sa célébrité, s'est laissé manipuler?ou bien Sophia AndreÏevna marche-t-elle à contre courant d'une révolution en cours? 
Ce dernier épisode va la tuer . Elle ne se remettra jamais de cette dernière année si éprouvante pour eux deux. Jusqu'au bout, elle se sentira coupable d'avoir précipité la mort de son mari en le poussant à fuir, de ne pas avoir été capable de suivre ses principes.

Deux autres personnages interviennent dans ce livre: le dernier secrétaire de Tolstoï, Boulgarov, qui , admiratif et fin connaisseur de l'oeuvre malgré son jeune âge, se trouve vite pris au piège entre les deux époux et son amour pour une jeune tolstoïenne qu'il ne doit pas "toucher"( avec son regard neuf sur le couple, il est au centre du livre) , et Makovitski, son médecin personnel, qui l'accompagnera jusqu'à ses derniers jours..

Le livre est ainsi fait d'une juxtaposition de faits maintes fois revécus grâce aux  journaux intimes et parallèles de ces six personnes: Valentin Boulgarov,  Vladimir Tchertkov, Sophia Andreïevna Tolstoï,  Alexandra TolstoÏ ( Sacha), Douchane Makovitski et bien sûr de Leon Nikolaïevitch TolstoÏ, lui même....sans oublier les lettres de certains des enfants moins implqués dans ce duel. L'auteur parle de fiction mais c'est sur ces vrais témoignages qu'il s'appuie.

Quelques passages du livre peuvent donner une idée des tensions:


S.A.: "Rien, ou presque n'éveille Léon TolstoÏ. Quoiqu'il fasse, il le fait à fond: dormir, travailler, danser, monter à cheval, manger. Il y a sans cesse des articles sur lui dans la presse. Même à Paris, les journaux du matin adorent recueillir les moindres potins sur lui, sur nous- vrais ou pas vrais, ça leur ai égal....Les questions ne me dérangent pas. Je leur en donne juste ce qu'il faut pour qu'ils repartent contents. Liovotchka non plus ne s'en formalise pas "ils sont sans intérêt". Il ne manque pas, toutefois de jeter un coup d'oeil aux photos...C'est Tchertkov qui est le plus pénible. Il se prend pour un artiste de la chambre noire, mais n'est pas plus malin dans ce domaine que dans les autres."

Tchertkov à Boulgarov: "Je ne voudrais pas vous prévenir contre Sophia Andreïevna, mais il serait peu politique de ma part de ne point faire mention de ses désaccords avec Léon Nikolaïevitch. Ce mariage a été une chose regrettable- pour lui, je veux dire"

S.A.: "Liovotchka n'a jamais compris mon chagrin. Ni vu que TanaÏev  agissait comme un baume sur ma douleur. Le cher SergueÏ Ivanovitch m'a fait passer des ténèbres à la lumière. Mais mon mari, comme il est devenu amer, dévoré de jalousie et de haine, mesquin, méchant! Ses soi-disant disciples viennent à présent ici, jour après jour, et l'adorent comme Jésus-Christ en personne, et Liovotchka laisse faire. Il est si avide de publicité, si assoiffé de louanges. Si ces gens-là savaient seulement ce que je sais..."

Sacha: "Papa aime à se vanter de sa jeunesse, où il n'en faisait qu'à sa tête, bien que cela ne plaise guère à des gens comme Makovitski et Sergueïenko. Ils ont besoin de croire qu'il a toujours été tel qu'à présent - comme si la morale était un don qu'on reçoit à la naissance, non quelque chose que l'on acquiert par un dur travail spirituel, par la souffrance de toute une vie dans le péché."


Tchertkov:" Dieu a réduit le nombre de mes ennemis à une seule personne: Sophia Andreïevna. Elle n'a jamais compris ni même essayé de comprendre. Ce qui fait que Léon Nikolaïevitch est obligé de vivre dans une perpétuelle situation de compromis, prêchant pauvreté et obéissant à la volonté de Dieu tout en étant environné par le luxe et les mondanités. Ils n'est pas étonnant que ses disciples, quand ils voient pour la première fois Iasnaïa Polonia, repartent souvent désenchantés."

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S.A. "Toutes les idées de Tchertkov n'ont pour but que de m'éloigner. Moi et notre famille. Il n'y a rien de plus pitoyables que ces aristocrates déchus."

Sacha: "Les disciples de papa encombrent les couloirs, c'est Tchertkov qui les a trouvés dans les milieux intellectuels de Moscou et de Saint Petersbourg, une collection hétéroclite de jeunes rêveurs.Un bon nombre sont des imposteurs. Mais papa se délecte de leur compagnie...Il a besoin d'attention comme une plante au soleil. La chaleur de ce rayonnement le fait vivre."

Bougarov sur Tchertkov:"C'est un grossier idéologue, qui fait son jeuy des gens et des circonstances, et pis encore, un raseur."

Leon Nikolaïevitch sur Tchertkov au chef de gare: "Oui ,c'est mon fils. Il n'y a aucun autre fils qui ait compris."


Comme il a dû être difficile de vivre auprès d'un génie tel que Tolstoï ! J'ai été touchée par le personnage de Sophia Andreievna  aussi je viens de terminer  "La comtesse Tolstoï" dont je vous  parlerai trés prochainement...

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Passionnant !
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Ce livre a fait l'objet d'une adaptation cinématographique par Mickael Hoffmann, avec Christopher Plummer et Helen Mirren, sous le titre " The last station", sortie prévu cette année pour le centenaire de la mort de TolstoÏ...à surveiller!



http://img.over-blog.com/300x215/2/34/88/73/Images-diverses---tags/Russie.jpg Défi Russie

Publié dans Autour de TOLSTOÏ

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A
<br /> Et bien il semble que ce livre t'a passionné et effectivement c'est passionnant ce que tu racontes, j'ai appris plein de choses !! Merci !!<br /> <br /> <br />
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D
<br /> Merci Antigone. Je gratte encore...je crois que Tolstoï m'a hypnotisée...est ce le pouvoir de sa longue barbe blanche?<br /> A suivre!<br /> <br /> <br />
A
<br /> J'ai justement feuilleté ce livre lundi, en pensant à toi ! Tu me donnes très envie de le découvrir. A suivre de près la sortie du film, en plus j'aime beaucoup Helen Mirren.<br /> <br /> <br />
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D
<br /> ...vas-tu être contaminée?<br />  Il y aura d'autres sorties autour du centenaire de sa mort. Mon libraire m'a confié que Guerre et Paix allait ressortir dans une nouvelle édition<br /> ...je pense qu'il voulait parler de ça:http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/02/04/guerre-et-paix-pour-lecteurs-presses_1300939_3260.html<br /> ...trop tard, j'ai déjà la version longue!<br /> <br /> <br />
S
<br /> Je vois que tu es à fond dans Tolstoi... tu vas devenir LA spécialiste de Tostoi sur la blogosphère !<br /> <br /> <br />
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D
<br /> Complètement à fond!<br /> LA spécialiste sur la blogosphère? houla...j'ai découvert de jolis billets hier soir que je vais<br /> ajouter. <br /> <br /> En tout cas, je trouve tout cela trés intéressant avant de découvrir l'oeuvre, je la comprendrais sûrement mieux.<br /> <br /> ... je ne sais pas où cela me conduira<br /> <br /> <br />