"le club des incorrigibles optimistes" de Jean Michel Guenassia
"Et toi tu t'en tires en laissant en arrière
Ceux à côté desquels ta vie aura coulé:
C'est là le premier coup qui frappe l'exilé.
Tu sentiras, bien loin de Florence et des nôtres,
Qu'il est dur de monter par l'escalier des autres,
Et combien est amer le pain de l'étranger. "
Dante
Editions Albin Michel, 768 pages, Rentrée littéraire Sept.2009
Quatrième de couverture
Michel Marini avait douze ans en 1959. C'était l'époque du rock'n'roll et de la guerre d'Algérie. Lui, il était photographe amateur, lecteur compulsif et joueur de baby-foot au Balto de Denfert-Rochereau. Dans l'arrière-salle du bistrot, il a rencontré Igor, Léonid, Sacha, Imré et les autres. Ces hommes avaient passé le Rideau de Fer pour sauver leur peau. Ils avaient abandonné leurs amours, leur famille, trahi leurs idéaux et tout ce qu'ils étaient. Ils s'étaient retrouvés à Paris dans ce club d'échecs d'arrière-salle que fréquentaient aussi Kessel et Sartre. Et ils étaient liés par un terrible secret que Michel finirait par découvrir. Cette rencontre bouleversa définitivement la vie du jeune garçon. Parce qu'ils étaient tous d'incorrigibles optimistes.
J'ai pris mon temps pour le lire, le savourer, le vivre, par petites touches, pour ne pas le quitter. Ce livre foisonne de rencontres inattendues dans le Paris des années 60, à l'époque de la guerre froide, de la guerre d'Algérie, à l'époque où les esprits bouillonnent, se révoltent, s'entrechoquent...au centre, un jeune adolescent de la petite bourgeoisie, élève d'Henri IV, qui s'éveille au monde. Il est vif, il aime jouer au baby-foot avec ses potes mais il aime aussi la compagnie des grands, les amis de son frère aîné d'abord puis ceux qu'il va se faire au Balto, des hommes qui ont un lourd passé, des communistes en danger de mort chez eux, des russes blancs, des hongrois anti-communistes, un allemand anti-nazi...rien ne les prédestinait à se retrouver dans l'arrière salle de ce café parisien, à jouer ensemble aux échecs, à cotoyer des personnages comme Kessel et Sartre...ce Sartre qui déclare dans les années 50: "En URSS, la liberté de critique est totale", "Tout anti-communiste est un chien"...
Le retrouver au Balto, au milieu de ces gens, cela parait incongru...mais ce sont les années d'un Sartre épuisé dont l'appartement a été plastiqué deux fois pour ses prises de position sur la guerre d'Algérie, qui refuse le prix Nobel, la légion d'honneur....
Ainsi commence le livre: "Avril 1980- Aujourd'hui, on enterre un écrivain. Comme une dernière manifestation. Une foule inattendue, silencieuse, respectueuse et anarchique bloque les rues et les boulevards du cimetière Montparnasse. Combien sont-ils? Cinquante mille? Moins? Plus? On a beau dire, c'est important d'avoir du monde à son enterrement. Si on lui avait dit qu'il aurait une telle cohue, il ne l'aurait pas cru. ça l'aurait fait rire. Cette question ne devait pas beaucoup le préoccuper. Il s'attendait à être enterré à la sauvette avec douze fidèles, pas avec les honneurs d'un Hugo ou d'un Tolstoï. Jamais de ce demi siècle, on n'avait vu autant de monde pour accompagner un intellectuel. A croire qu'il était indispensable ou faisait l'unanimité. Pourquoi sont-ils là, eux? Pour ce qu'ils connaissent de lui, ils n'auraient pas dû venir. Quelle absurdité de rendre hommage à un homme qui s'est trompé sur tout ou presque, fourvoyé avec constance et a mis son talent à défendre l'indéfendable avec convistion. Ils auraient mieux fait d'aller aux obsèques de ceux qui avaient raison, qu'il avait méprisés et descendus en flamme. Pour eux , personne n'est venu."
A la fin du livre, un autre homme est enterré qui a obéi à un idéal, qui a cru que la cause était bonne et qui s'est trompé. De la même façon, il n'aurait pas compris qu'on vienne à ses obsèques..."Pour la mort, on se réconcilie parce qu'on sait que là, nous sommes tous égaux."
"Rien ne changera et nous le savons. Il n'y aura pas de société meilleure. On l'accepte ou on ne l'accepte pas. Ici, on a un pied dans la tombe avec nos croyances et nos illusions perdues. Une foule comme une absolution pour l'expiation des fautes commises par IDEAL...Qu'y a-t-il de pire que faire le mal quand on voulait faire le bien?"
"Le club des incorrigibles optimistes", ce sont ces hommes que tout oppose dans leur propre pays, que l'Histoire a meurtris et qui, dans l'arrière salle d'un café, confrontés au même statut d'exilés, pansent leurs blessures dans la langue de Molière, autour d'un jeu d'échec...et d'un secret.
L' innocence de Michel va être mise à rude épreuve mais c'est ainsi qu'on grandit....tout se termine en 1964. J'imagine bien Michel en Mai 68, à 22 ans.
J'ai toujours peur des gros pavés mais celui-ci , je l'ai adoré!
L'écriture est trés agréable, vivante, avec des moments graves et d'autres pleins d'humour. Un texte qui reflète une époque mouvementée où même une mère pouvait ne plus y retrouver son petit....
Je le conseille fortement