" Stefan Zweig" de Dominique Bona
Editions Grasset, 458 pages, 2010
La couverture de cette biographie ,écrite par Dominique Bona et publiée pour la première fois en 1996 , portait le titre "Stefan Zweig- L'ami blessé". Le livre était sorti chez Plon et il séjournait dans ma bibliothèque depuis tout ce temps. Il a dû me suivre jusqu'au bout du monde...un livre voyageur malgré lui et trop longtemps délaissé au point de l'oublier! Comme je suis fidèle à mes coups de coeur, sa réimpression m'a poussée à l'acheter, le premier titre n'apparaissant plus qu'à l'intérieur et la maison d'édition étant Grasset, je n'ai même pas fait le rapprochement. Il aura fallu l'oeil aiguisé de mon fils aîné pour le faire. Il gagnera donc le doublon...car tout est identique à l'exception de quelques photos.
« Il y a un mystère Zweig : j’ai écrit ce livre pour tenter de le percer. Comment un écrivain aussi secret et discret a-t-il été capable d’allumer un feu chez ses créatures romanesques et de le faire partager à ses lecteurs ? Ce sont les origines de ce feu que j’ai cherché à découvrir à travers les péripéties de sa vie. Je suis allée à Vienne et à Salzbourg, dans cette Autriche finissante avec laquelle Zweig a entretenu des rapports si complexes d’amour-haine, puisque ce pays a été sa véritable patrie et la source de tant de souffrances. Je suis allée au Brésil, à Petropolis, haut lieu de son suicide et de son désespoir. Homme de passion, sous son élégance MittelEuropa, c’est un écrivain qui se livre difficilement. Il faut partir à sa recherche, décrypter ses amours et ses amitiés. Ce parfait homme de lettres en apparence est un artiste qu’attire la foudre – les folies d’Amok ou les tabous de la vie des femmes, que celles-ci osent à peine s’avouer à elles-mêmes, leurs voluptés secrètes. Ami de Romain Rolland, d’Emile Verhaeren, de Thomas Mann, de Joseph Roth, tous grands Européens qui croyaient comme lui à la paix, à l’amitié, dans un monde ouvert et concilié, cet écrivain raffiné, choyé par les élites, aurait pu demeurer comme l’archétype d’une civilisation disparue. Son prodige est d’avoir réussi à conquérir aujourd’hui un si vaste public. Loin de rejoindre dans les bibliothèques les auteurs à demi oubliés de son temps, Zweig rayonne. Il continue de séduire. On aime son style, rapide et sûr. Sa compassion, inégalable. Sa sensibilité d’écorché vif. Peut-être aussi les lueurs sombres, les fumées délétères de son œuvre, qui correspondent si bien à nos angoisses, à nos tourments contemporains. Zweig était lui-même biographe : auteur de livres qui sont des modèles du genre, Marie Stuart ou Marie-Antoinette. C’était pour moi une dette d’écrire à mon tour sa biographie : tenter de rendre vivant cet homme de passion dans une biographie passionnée. »
Dominique Bona
Que dire de cette biographie?
Dominique Bona revient sur toute la vie de Stefan Zweig. Son enfance privilégiée et sans tendresse, son amour pour Vienne et l'Autriche, son appetit précoce de lectures, d'amitiés qu'il cultivera tout au long de son existence, ses zones d'ombres liées à son éducation, ses relations avec les "épisodes" avec lesquelles il cherche l'apaisement non la complicité, ses deux épouses qui vivront dans son ombre ( "légende d'une vie" reprend ces thèmes), Fredericke, la Gala de Zweig et Lotte, la jeune femme à protéger, ses nombreux voyages car il sera rentier toute sa vie, le nazisme et l'épisode Richard Strauss... Stefan Zweig, homme au sourire doux, serein, est un homme discret, secret, généreux, modeste mais aussi ambitieux, curieux, orgueilleux,épris de liberté, trés exigeant avec lui-même, jamais satisfait. Ses amis et contemporains seront pour la plupart des écrivains et s'appeleront Romain Rolland, Emile Verhaeren, Jules Romain, Heinrich Mann, Klaus Mann, Rainer Maria Rilke, James Joyce, Joseph Roth, Paul Valery, Gorki mais aussi Sigmund Freud, Toscanini....amis de jeunesse, de paix ou d'exil. Certains resteront, d'autres décèderont , quelques uns critiqueront son pacifisme , comme Thomas Mann qui lui reprochera son "égoisme" et "son manquement au devoir", au lendemain de son suicide.
Trop sensible, plaçant l'Art au dessus de tout, ni de droite ni de gauche, son combat est philosophique, non politique, universel, et résolument individuel, cet intellectuel qui aura rêvé d'une Europe unie, connaîtra deux guerres dont la seconde finira de l'achever.
Il est difficile d'en dire plus. Ces 458 pages sont passionnantes et permettent de mieux percer l'écrivain complexe qu'il fut et son oeuvre qui n'a cessé d'être lue. Biographe lui même, il n'a eu de cesse de trouver à travers ses illustres personnages ( Dostoïevsky, Fouché, Marie Stuart, Marie Antoinette) une réponse à sa propre époque et sa propre personnalité.
Dominique Bona excelle dans ses biographies. J'éprouve toujours beaucoup de plaisir à découvrir une personnalité à travers sa plume vivante et fouillée . Découverte avec sa biographie sur Gala, épouse de Dali, j'ai continué avec "Les yeux noirs ou les vies extraordinaires des soeurs Hereira", "Berthe Morisot le secret de la femme en noir", "La ville d'hiver" . M'attendent encore"Camille et Paul" et le dernier paru ces jours-ci " Deux soeurs" sur les filles d'Henry Lerolle, épouses de Eugène et Louis Rouart, aïeux de l'académicien Jean-Marie Rouart.
Pour la beauté des dessins , l'envie de donner "vie" à cet auteur, je vous conseille de parcourir la BD de Sorel et Seksik "Les derniers jours de Stefan Zweig" , sortie chez Casterman en février 2012 et dont Aifelle a parlé ICI
Comme elle, je ne suis pas une adepte du genre mais je l'ai lu avec émotion.