Mary Cassatt

Publié le par Du soleil sur la page

Sans Gabrielle, qui serait Renoir? Et sans sa femme, qui fut toute sa vie son modèle, que vaudrait Bonnard?

Un passage du livre soulève ce sujet...

Paris, mai 1881

-Mais je ne veux pas croire qu'elle ait consenti à le vendre.

Mère me regarde avec stupéfaction. Elle est venue dans ma chambre après le petit déjeuner. Je viens tout juste de commencer la lecture de "L'américain" de Henry James, et je le lâche à contrecoeur.

-Que veux-tu, il s'agit d'art, après tout! Et d'une belle peinture!

C'est la vingtième fois que Mère aborde avec moi ce sujet, depuis que Moïse Dreyfus a acheté l'une des toiles où May a représenté des membres de sa famille: celle qui montre Mère en train de lire des contes de fées à Elsie, Sister et Robbie, l'été dernier à Marly....La VIème Exposition des Impressionnistes, qui s'est ouverte en avril boulevard des Capucines, a été un triomphe, en particulier pour May et Edgar Degas. Elle a eu d'excellentes critiques et des propositions d'achat pour les onze toiles qu'elle avait accrochées. Les gens disent qu'elle n'aura jamais de souci à se faire pour écouler sa production, et qu'elle peut être également sûre de la vendre au meilleur prix.
...
-Je veux bien, mais, Lydia, comment a-t-elle pu vendre sa propre mère, ses nièces et ses neveux?

-Ce n'est pas toi qu'elle a vendue! Elle a vendu une peinture qui te représente! J'espère qu'il y a une différence...

-C'est une peinture qui me représente en compagnie de mes petits-enfants. Comment a-t-elle pu envisager un seul instant de gagner de l'argent avec et de la céder à quelqu'un d'étranger à la famille?

Je pousse un soupir. Comment, en effet?

-Au moins ne va-t-elle pas vendre tes trois portraits, Lydia.

....

-Eh bien, elle ne va pas les vendre, pour l'instant du moins.

-Comment peux-tu prétendre une chose pareille? Il estcertain qu'elle ne s'en séparera jamais!

-Mais l'art n'est pas uniquement destiné aux membres de la famille de l'artiste. Il s'adresse aussi aux autres.

-Oui, et je voudrais que les autres rendent hommage à son talent. Mais elle doit aussi tenir compte de nos souhaits. Un portrait de sa mère doit rester dans sa famille.

-Je suis d'accord avec toi. Je voudrais que May soit d'accord , elle aussi. Mais elle a son propre point de vue. C'est une artiste. Elle souhaite que son travail soit montré sur la place publique.

-Mais il s'agit d'une trahison, Lyddy! ça ne t'aura sûrement pas échappé. Elle me trahit, elle te trahit, elle nous trahit tous en mettant de cette façon nos portraits sur le marché. Qui aura ces peintures à coeur autant que les membres de la famille de May?

"Il est difficile de concevoir que cette petite communauté puisse désormais orner un mur de la maison de Moïse Dreyfus, que ce ne soit qu'un tableau de plus dans sa collection.Je n'avais pas mesuré l'étendue de l'ambition de May....Je me rends compte aujourd'hui, en outre, de la contribution que j'ai moi-même apportée à son succès. Les peintures où elle m'a représentée ont suscité des offres d'achat à des prix particulièrement élevés, tout autant que des éloges dithyrambiques. Quand les  gens pensent à son art aujourd'hui, c'est à moi qu'ils pensent, alors qu'ils ne savent absolument pas qui je suis."
Lydia Cassatt, p.158


Je me suis donc posée la question: Peut-on parler de trahison lorsqu'il s'agit d'un art qui est censé vous nourrir et vous élever? Quelle est la place du modèle lorsqu'il fait partie de votre famille ? mais aussi, ses motivations? ne le fait-il par altruisme?

Mary Cassatt a souvent utilisé sa famille, sa soeur, ses parents, ses neveux et nièces mais aussi des amis, enfants d'amis (comme la petite fille dans la voiture, nièce de Degas). Ils ont contribué à sa notoriété et ainsi, sont entrés dans l'Histoire de la peinture mais comme le dit l'auteure, par la bouche de Lydia, personne ne sait qui ils sont...le problème est là, pour elle qui n'a plus rien à espérer et qui aurait tant aimé faire quelquechose. Pour sa mère, c'est surtout une "photo de famille" qui va chez une personne étrangère...que peut-elle représenter pour cette dernière? Elle voit le côté affectif qui ne se monnaie pas....un souvenir qui s'envole.
Je ne vois pas là de trahison mais le travail est tellement beau qu'une mère voudrait tout garder et surtout ce qui la concerne!...que sa fille ne lui  demande pas, elle s'indigne...mais pour les peintres, le modèle peut être cher au début quand ils ne sont pas assez connus...parfois aussi, il existe une "histoire d'amour" entre eux ou un lien affectif comme entre Mary et Lydia...les peintres ont souvent posé l'un pour l'autre( Mary Cassatt pour Degas, Berthe Morisot pour Manet ,Suzanne Valadon pour Degas, Renoir, Toulouse-Lautrec, Puvis de Chavannes)pour éviter ce coût et aussi par amitié, échangeant aussi leurs idées...on pourrait croire qu'il n'y a que des femmes mais les hommes aussi sont entrés dans les compositions de leurs amis!

**************************************************************************************************************************

A propos de Berthe Morisot...

Femme et peintre, Berthe Morisot ne peut s’émanciper des règles de la vie bourgeoise mais elle réussit à annexer cet univers imposé à son activité créatrice. Ses modèles sont des enfants et des femmes, exceptionnellement des hommes. Elle choisit des personnes de son entourage aussi bien que des jeunes filles recrutées pour poser. Elle sollicite son jeune neveu, son mari Eugène Manet – mais « ce pauvre Eugène […] en a tout de suite trop… » (1875) et se révèle « un modèle moins complaisant » que sa sœur Edma, ses nièces, sa fille Julie, et aussi, par commodité mais sans la familiarité de Renoir, la nourrice Pasie, la fille de la concierge de la rue de Villejust, Marthe Givaudan, enfant (Toilette de nuit) puis femme (La Fleur aux cheveux, 1893 ; jeune fille en corset, etc.) ou une petite voisine de Mézy, Gabrielle (Bergère couchée), « cette sauvagesse qui fit sa première communion avec moi », écrit Julie quelques années plus tard . À l’occasion, elle partage un modèle avec Renoir ou avec Toulouse-Lautrec.

le titre du tableau (à l’exception des portraits) indique rarement le statut du personnage, proche ou étranger à la famille, et ne trahit pas une éventuelle proximité ...
Peintres et modèles


   

Publié dans Peintres

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Une lecture intéressante...on dirait. A te lire, on a envie de plonger dans ces vies de peintres, assez méconnues !!
Répondre
D
<br /> J'aime beaucoup en lire de temps en temps...on dirait que ça revient!<br /> <br /> <br />
F
C'est un très intéressant article qui donne envie de découvrir ce livre ! Merci Annie et bonne fin de semaine !
Répondre
D
<br /> <br /> Le livre est davantage axé sur leur relation , rien d'intellectualiser là dedans!...juste ce passage qui interpelle le lecteur curieux.<br /> Bon week end Florinette!<br /> <br /> <br /> <br />
A
C'est un débat très intéressant et toujours d'actualité.
Répondre
D
<br /> Tout à fait.<br /> <br /> <br />